Abstract
Traditionnellement, les intellectuels roumains mettent le discours sur l’identité nationale soit dans le royaume du légendaire, de la mythologie, de la religiosité ou du mysticisme (voir les idéologies du Mouvement Légionnaire), soit dans le domaine de la philosophie spéculative (voir Lucian Blaga ou Constantin Noica).
Aujourd’hui, les intellectuels qui essayent de reconstruire le discours identitaire roumain propulsent ce discours soit sur le terrain de l’ethnie, soit sur celui de la religion, soit sur les deux dimensions. Personne n’essaye une reconstruction sur le terrain de la citoyenneté. Malheureusement, seule la « conscience de peuple » ne peut établir une solidarité réelle. Notre élite intellectuelle participe à la perpétuation d’un discours identitaire pré-moderne, de type ethnicisé, au lieu de devenir le promoteur de la modernisation de la conscience nationale. Surnommés « les maîtres de l’esprit », la plupart des intellectuels prennent soin d’en reproduire leurs publics en vertu du prestige que ceux ci reconnaissent.
Dans un livre dédié au nihilisme postmoderne (L’Homme récent, 2001), un des intellectuels qui jouit de la plus grande audience en Roumanie, Horia-Roman Patapievici, propose comme sortie de la crise spirituelle de la modernité « l’ancrage dans l’esprit de la présence du Dieu » (sans nous dire comment ça se fait). Plus récemment, un autre personnage avec du succès à la télévision, Dan Puric, lance le même message, lui-aussi sans nous dire comment le faire (Qui on est, 2008). Il s’agit donc de nouvelles constructions idéologiques nationales. De telles constructions ont été proposées aussi par les leaders légionnaires Corneliu Zelea Codreanu et Horia Sima. C’est que Nicolae Ceausescu a fait. C’est que beaucoup de nos intellectuels représentatifs font: ils fuient la connaissance objective de la réalité, éludent les faits ou les super interprètent.
On a toutes les chances de rater encore une fois l’élaboration d’un discours critique sur nous-mêmes, sur notre type de civilisation. Lorsqu’il s’agit du pays où on vit, le discours identitaire ne peut jamais être trop critique. Le plus important poète roumain, Mihai Eminescu disait « Nationalisme, oui, mais en respectant la vérité ». La vérité est une pré-condition du véritable patriotisme. La vraie connaissance est le seul fondement sur lequel on peut construire un pays plus humain, c’est-à-dire plus habitable.
Du point de vue méthodologique, je pars de la prémisse qu’il est presque impossible de se tromper quand on parle de nous. Même si on réussit à produire un discours identitaire propre à la réalité roumaine, ce succès serait fortuit, car on ne saurait comment on l’avait obtenu. Plus ou moins, on peut tous se tromper. C’est pourquoi, même si on exagère en ce qui concerne notre attitude critique, je crois qu’il est à préférer de nous tromper « en minus » qu « en plus ». Celui qui se leurre d’illusions ne peut être lucide ni quand il pense, ni quand il prend des décisions, ni quand il agit.
Je propose dans mon exposé une analyse critique du discours identitaire roumain de dernières 150 années. On mettra en évidence aussi les tentatives contemporains de le reconstruire sur les alignements d’une vision pré-moderne, de type ethnique-religieux. De plus, je propose une reconstruction de ce discours dans le paradigme culturel de la modernité.