Abstract
La passion, dans le sens classique du mot, traduit les phénomènes dans lesquels la volonté est passive. N’est-elle pas dans cette acceptation une illustration de la place du spectateur au sein des médias ? Un média par lequel nous avons pris l’habitude de jouir de nos émotions (amour, haine, joie, tristesse) et d’éprouver des pulsions (eros et thanatos) de manière passive, sans produire l’effort nécessaire à l’action. Descartes, et Oresme avant lui, distinguaient déjà la passion de l’action, appelant passion ce que le sujet éprouve, et action ce qu’il fait éprouver aux autres. La passion dans les médias relève notamment de cette configuration : nous éprouvons et partageons les mêmes affects sans nécessiter l’action d’autrui. Avec les médias, l’humain est limité à la dimension de la passion, il ne lui est possible que d'éprouver, l’action ne lui est plus accessible.
Face à cette passivité, le mouvement a lieu en nous-mêmes à travers la pulsion, du latin pulsio « action de pousser », et l’émotion, du latin motio « action de mouvoir » ou, au sens passif, d’être « mû » ou, dirait-on maintenant, « remué ». Mais ce changement d’état ne nécessite plus l’existence d’autrui avec les grands médias tels que la télévision. Leur discours est semblable au monologue des hystériques : le verbe n’offre aucune réponse possible, le langage est constitué d’un discours fragmenté et entrecoupé d’émotions surinvesties.
Dans son origine grecque pathos, désigne un mouvement, une affection, une émotion de l’âme. Le mot pathologie est d’ailleurs emprunté à pathologia « l'étude des passions », de même que l’adjectif pathologique provient de pathologikos « qui traite des maladies, des passions ». Trois siècles avant notre ère, Aristote faisait du pathos l’un de ses trois moyens de persuasion du discours dans la rhétorique classique. Le terme pathos désignait alors une méthode de persuasion par l’appel à l’émotion du public. Le cinéma, la téléréalité et les médias n’ont de cesse, dans leurs discours, d’exploiter l’émotion du spectateur afin de capter son attention.
Notre présentation se propose de montrer comment chacun peut être inconsciemment assujetti aux symptômes de la passion du seul fait d’être exposé au discours des médias. Nous prendrons pour exemple un dialogue entre Jean-Pierre Pernaut et Vincent Touraine lors de la retransmission en direct de la catastrophe nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011.