Abstract
Une pièce écrite en idéogrammes et en hiéroglyphes est un texte qui interroge de prime abord l’architecture d’un imaginaire créatif bien débordant. Est-ce le cas dans Les Paravents (LP) de Jean Genet ? Les quarante-trois personnages européens face à cinquante et un Arabes évoluent le long d’une édition – celle de 1976, dite édition finale-, dans un espace visible-invisible composé de seize paravents-miroirs ou écrans. Tout débute dans LP par une borne kilométrique, une trace délimitative indiquant le village d’Ain-Sofar. Ce dernier existe réellement, aujourd’hui ville touristique du Mont-Liban, sur la route Beyrouth-Damas via Zahlé. Une ville bien montante où de maisons sont disposées en escalier, aux abords d’une route spiralée, une épaisseur de signes qui se reproduit sur la scène, au Quinzième tableau « les paravents seront disposés sur deux étages », précise la didascalie du texte. Une élévation qui côtoie symboliquement les 1550 m d’altitude du village libanais d’où l’on a utilisé « la brique Huré » pour édifier l’église d’Epinay-sur-Seine. D’une source (ain, en arabe) à une autre, Genet brouille les pistes en élançant ses espaces géographiques d’un bout à l’autre du monde. Du Levant au Maroc, « l’eau de Cologne » que Saïd ramena parmi les objets de la dote de Leila, venait du « douar d’Ain Targ », un lieu difficilement repérable du sud marocain dans la région de Zagora. Jean Genet transgresse les espaces, tout comme il transgresse les règles théâtrales jusque-là partagées par la majorité des metteurs en scène.