fr ANALYSE IMMANENTE DES ŒUVRES ET DISSOLUTION DES GENRES ARTISTIQUES
  • Laforge,  Wilfried
    UNIVERSITÉ LILLE III, « CHARLES DE GAULLE »
Abstract
Adorno pose l’exigence philosophique d’une « teneur de vérité » de l’art, celle-ci ne pouvant exister qu’à partir d’une critique immanente de l’œuvre particulière. Le rôle de son esthétique est bien de saisir le moment où l’œuvre, en raison de sa loi formelle, est un artefact et en même temps « plus » qu’un artefact : elle est une œuvre d’art en se séparant, en tant qu’ « esprit » de la réalité empirique. Les œuvres deviennent autonomes à condition de posséder ce « plus » par rapport à la réalité empirique. Mais comment déterminer ce « plus », cet « esprit » des œuvres—leur « teneur » ? Cette recherche de la teneur de vérité des œuvres d’art, loin d’être sans rapport avec leur dimension formelle, en dépend même essentiellement. En d’autres termes, il s’agit d’appréhender la « forme » de l’œuvre en premier lieu, afin de pouvoir en saisir la teneur : mettre en lumière la teneur de l’œuvre ne peut se faire que dialectiquement, par le biais de chaque œuvre spécifique. Nous verrons qu’il existe bien pour Adorno un jeu dialectique entre l’artiste et son matériau. Pour Adorno, lorsque l’artiste est confronté au matériau, préformé par la société, il est par là même dans un rapport de confrontation avec la société, car celle-ci a pénétré dans l’œuvre, « comme un élément purement extérieur et hétéronome » ; chaque œuvre prend position face à la société. Selon Adorno : cette teneur de vérité, la qualité esthétique des œuvres, coïncident avec le « socialement vrai ». Ce que l’on trouve d’organisé dans l’œuvre est emprunté à l’organisation même de la société, et c’est précisément lorsque l’œuvre transcende ces règles que se situe sa protestation contre ce principe d’organisation et contre la domination de la nature. Dès lors, tout l’enjeu de l’analyse immanente de l’œuvre semble être de trouver cet élément social, historique dans l’œuvre d’art, dans sa technique, sa composition : elle s’intéresse au mouvement de négation des invariants. Le « progrès du matériau » a bien été un critère évaluatif de l’œuvre d’art pour Adorno. Cependant sous la contrainte du « moment nominaliste », et plus généralement depuis qu’il est admis que l’on est passé des arts à « l’art en général » ¬—ou encore du « spécifique au générique (de Duve) — dans les années 60, il semble qu’il soit devenu nécessaire pour Adorno d’adapter la méthode d’analyse des œuvres face à ce changement de définition de l’art. En effet, que l’on s’inquiète, que l’on s’étonne ou encore qu’on s’émerveille qu’il soit désormais possible de « faire de l’art avec n’importe quoi » (de Duve), le progrès du matériau peut difficilement être un critère déterminant pour juger des oeuvres d’art : il faut, puisque que les arts ont abandonné leurs matériaux spécifiques, mettre en place une esthétique qui parte de l’objet singulier, une « analyse immanente », à la fois technique et philosophique.